La vigilance, la fatigue et les accidents : de nouvelles données
Plusieurs études ont montré que les accidents étaient étroitement liés à la somnolence, notamment pour la circulation routière et maritime. Or, les conclusions de ces études doivent être nuancées par de nouvelles données provenant de l ‘industrie.
Tout d’abord, la somnolence doit être bien définie, alors que la plupart du temps elle est indirectement admise du fait de la durée du travail posté, de la monotonie des tâches ou de la présence d’insomnie. Ensuite, une performance élevée est obtenue chez le travailleur de nuit, comme en témoigne le tracé de l’E.E.G qui ne montre pas d’ondes de sommeil, en dépit d’une sensation subjective d’ensommeillement. La raison peut en être due aux effets dits « de masque » que sont les interactions sociales, les tâches de la vie courante et la consommation de café.
On peut donc émettre l’hypothèse que la somnolence au cours du travail de nuit a un faible impact sur la performance régulière et n’en induit que rarement la chute par une monotonie accrue des tâches ou par un sommeil antérieurement perturbé. Enfin, il est possible que des différences particulières à chaque individu puissent influencer la survenue des accidents.
Les auteurs ont analysé la relation entre les accidents auto-rapportés et les variables du sommeil et de l’éveil, dans trois études réalisées sur trois sites industriels. Les comparaisons des groupes ayant des accidents et ceux qui n’en ont pas, les analyses par régression multiple ont montré que les variables de base comme l’âge ou le sexe avaient peu de répercussion sur les accidents. La somnolence ou l’ensommeillement au travail avaient une relation limitée, alors que l’ éléments majeurs fortement reliés sont les difficultés d’éveil et la sensation de n’être pas disponible au réveil. La somnolence ne semble donc plus être un facteur déterminant de la survenue des accidents.
Qu’en est-il du temps de travail ?
On a également comparé les conséquences d’une semaine de travail concernant la fatigue et la somnolence chez des employés travaillant à la construction d’un pont. On a créé un groupe à quatre vingt-quatre heures c’est-à-dire qui travaille douze heures par jour pendant sept jours consécutifs, et un autre groupe à quarante heures, donc huit heures par jour pendant cinq jours consécutifs. Les scientifiques ont recherché en particulier si la fatigue, la somnolence et le besoin de sommeil s’accumulaient au cours de cette semaine de travail avec des amplitudes horaires de douze heures. Ils ont aussi voulu savoir quel était le temps de récupération après une telle semaine de sept jours travaillés.
Leurs résultats montrent que dans ce groupe de salariés, la somnolence mesurée par l’échelle de Karolinska est plus accentuée le soir, mais non la fatigue physique ni la durée du sommeil pendant la semaine de quatre vingt-quatre heures comparées au groupe ayant travaillé quarante heures. En revanche, la durée du sommeil était plus longue pendant les deux premiers jours de repos dans le groupe ayant travaillé quatre vingt-quatre heures. Dans l’ensemble, ce groupe a mis entre trois et cinq jours de repos pour récupérer complètement de sa fatigue et de sa somnolence.
Ainsi, des semaines de travail étendues, au-delà de quatre vingt heures dans le cas étudié, font présager, par les hauts niveaux de fatigue qu’elles engendrent lors du premier jour de repos, une insuffisance de récupération tout au long de la semaine de travail. Parallèlement, chez les travailleurs en quatre vingt-quatre heures, des taux sanguins plus élevés de mélatonine ont été trouvés, par rapport au groupe travaillant quarante heures, tandis que les marqueurs de stress comme le cortisol, la prolactine, la testostérone et le cholestérol étaient augmentés le premier jour de travail dans les deux groupes.
Les conséquences des horaires irréguliers sur la santé
Une étude à grande échelle sur la santé a été conduite au Canada. Elle a porté sur quelques dizaines de milliers de personnes âgées de plus de douze ans, représentatifs de la population. Il ressort d’une façon assez nette que les travailleurs ayant des horaires irréguliers ont un poids plus important par rapport aux travailleurs ayant des horaires réguliers, de jour comme de nuit. Les travailleurs irréguliers ont également une consommation de tabac et d’alcool plus élevée, et un pourcentage plus important d’accidents du travail, de bronchites et de lombalgies, ceci indépendamment de l’âge et du sexe.
Actuellement, sont décrits de nouveaux désordres pour les horaires postés ou le travail de nuit, avec notamment chez la femme des troubles de la reproduction et des interférences entre le stress et l’activité hormonale. Ces résultats confirment le rôle nocif du travail posté sur la santé, déjà largement documenté dans des études antérieures.
D’autres effets sur la fonction cardiaque ont été rapportés. Le travail posté semble augmenter les risques de maladie cardio-vasculaire, mais les résultats des études sont très hétérogènes. Un travail récent, comparant le personnel médical et non médical d’un grand hôpital parisien en horaires réguliers et celui travaillant de nuit, n’a pas retrouvé de risque cardio-vasculaire plus important chez le personnel de nuit. L’allongement de la durée de travail en douze heures, comparé au travail de neuf heures, entraîne par ailleurs plus de défauts d’attention et de risques d’accidents. Les rotations en douze heures étaient également moins bien supportées chez les sujets plus âgés, entre 40 et 50 ans, que chez les plus jeunes, entre 20 et 25 ans.
En fait, on s’est rendu compte que les modifications fonctionnelles de l’organisme ont des effets à longs termes comme la fatigue chronique, les troubles du sommeil, des troubles digestifs, des maladies cardio-vasculaires. Le dérèglement du mode de vie quotidien par des horaires irréguliers amènent des effets à courts termes comme les troubles du sommeil, une baisse des performances et des troubles divers dus au stress. Finalement, au cours de ce congrès, un large débat a eu lieu sur la nécessité d’entrecouper les périodes de travail de repos compensateurs. Les interventions des différents intervenants ont su convaincre l’auditoire de l’importance de la sieste, qui, loin d’être pathologique, paraît refléter une capacité d’adaptation anti-stress et constitue une phase intermédiaire entre activité et repos.